« Il ne suffit pas d’entrer à l’X pour sortir de l’ordinaire »
De Guillaume Boissonnat à Zuzanna Stamirowska, voici la dernière moisson de polytechniciens, jeunes et vieux, vivants et morts, qui ont attiré mon attention au cours du mois écoulé.
- Guillaume Boissonnat-Wu (X 09), colorant

Guillaume est né en 1989 à Nancy d’un père ingénieur et d’une mère dentiste. Il quitte Nancy en 2007 pour faire sa prépa à Louis le Grand. Entré à l’X en 2009, il fait ensuite une thèse au labo de chimie organique de l’Ecole supérieure de Physique et de Chimie industrielle (ESPCI) et obtient un PhD à l’Université Pierre et Marie Curie (2013-16).
Tout juste diplômé, Guillaume entre en 2016 comme directeur scientifique et industriel chez Pili, société de biotechnologie qui vient d’être créée avec pour ambition de décarboner l’industrie de la couleur, qui est très polluante. Pili conjugue la productivité de l’industrie chimique avec la renouvelabilité du végétal pour faire face au défi d’une production de couleur propre, sans pétrochimie, en utilisant des micro-organismes qui transforment efficacement la biomasse en pigments par le processus de fermentation – comme la bière, l’insuline ou les vitamines disponibles aujourd’hui.
Guillaume fait partie des nominés du Palmarès des inventeurs paru dans Le Point du 22 juin. Il est marié (pour ne pas l’oublier, il a accolé à son nom patronymique celui de son épouse 😊) et père d’une petite fille. A ses moments perdus, il milite au PS comme secrétaire fédéral à l’écologie. Candidat malheureux sur la liste socialiste des municipales dans le 15ème et aux régionales d’île de France, nous lui souhaitons bonne chance pour les prochaines, l’écologie a besoin de gens sérieux !
- Elisabeth Cunin (X 80), habilleuse

Très cosmopolite dans sa jeunesse, Elisabeth a grandi en Australie, au Royaume Uni et au Japon. Arrivée en France après le bac, elle entre à l’X en 1980 après une prépa à St Louis et se perfectionne ensuite à l’ENSAE, à Sciences Po et à Dauphine où elle obtient un DEA d’économie et finance internationale en 1985. Elle commence sa carrière comme consultante chez McKinsey (85-90), puis enchaîne les postes de responsabilité dans la grande distribution et le textile : DG de DIA France, filiale de Promodès (90-96), directrice supply chain chez Dior (96-98), responsable des projets d’Etam à l’export (98-01), PDG de Vivarte (2001-05), DG d’Etam Lingerie (05-11), PDG de Comptoir des Cotonniers et Princesse Tam Tam (11-13), PDG de Camaïeu (13-18).
Après ce grand tour de piste, Elisabeth trouve en 2019 chaussure à son pied en succédant au gendre de Patrick Mulliez, à la présidence de Kiabi, numéro un français du prêt-à-porter avec plus de 10.000 employés, une pépite de la galaxie Mulliez.
Passionnée de théâtre, de littérature et du Japon, Elisabeth est administratrice de Mercialys (foncière créée par Casino) depuis 2012 et des ONG Solidarité femmes accueil et 1001 Fontaines depuis 2020.
- Pierre et Matthieu Desjardins (X 08), jumeaux quantiques

Après des études au Lycée Henri IV, Pierre et Matthieu entrent à l’X en 2008. Pierre passe quelques mois à Casablanca en 2012 pour Planet Finance, créée par Jacques Attali (X 63) puis part à Columbia pour faire un MS en physique quantique puis passe quelques mois au labo de photonique quantique du MIT. De retour à Paris en 2016, il entre comme consultant chez Roland Berger.
A sa sortie de l’X, Matthieu passe un MS à la Freie Universität de Berlin en 2013 puis enseigne la physique à l’Université Pierre et Marie Curie pendant 3 ans avant de préparer un Phd en physique quantique à l’ENS (2013-17). Il y poursuit ses recherches jusqu’en 2019 tout en participant au programme Challenge+ de HEC.
Les jumeaux se retrouvent fin 2019 pour créer la société C12 Quantum Electronics qui a pour objectif de développer des processeurs quantiques fiables pour accélérer les tâches informatiques complexes, dans des domaines aussi variés que la chimie, la santé ou l’industrie. C12 se base sur un qubit de spin hébergé dans des nanotubes de carbone 12. Cet isotope du carbone dénué de spin nucléaire (à ne pas confondre avec le C14 radioactif utilisé en datation) est capable de réduire considérablement les erreurs des ordinateurs quantiques actuels. Elle est hébergée dans un laboratoire du CNRS et s’appuie sur les travaux du labo de physique de l’ENS.
C12 fait partie de la sélection de 100 start-ups pour demain parue dans Challenges en 2021. Elle a levé 8 M€ en 2021. Fort heureusement, Pierre et Matthieu ne sont pas de vrais jumeaux homozygotes et ne sont pas intriqués, ce qui fait qu’on peut les voir simultanément 😊
- Ivan Gavriloff (x 81), nucléariste

Né d’Irène et Nicolas Gavriloff, ingénieur des mines de Saint-Etienne, Ivan entre à l’X en 1981après une prépa au Lycée Descartes à Tours. Il commence sa vie professionnelle chez Havas pour s’occuper de recherche. En 1986, il crée Kaos Consulting, société de conseil en innovation, dont il est Pdg. Très éclectique, il est nommé en 2019 directeur scientifique de BWBW (Better We Better World, soutenu par le Dalai-Lama) après avoir été cofondateur de Nickel (1ère marque de soins pour homme), winamax.com, horoscope.com, Bio Diner Minceur et, tout dernièrement, Naarea (Nano Accessible Affordable Ressourful Energy for All).
Présidée par Jean-Luc Alexandre, Centrale-Supelec, ancien VP d’Alstom et DGA de Suez, Naarea a déposé un brevet pour développer des petits réacteurs nucléaires à neutrons rapides, aux sels fondus, fonctionnant avec du thorium et recyclant des déchets nucléaires, à partir d’un modèle conçu pour le spatial par Daniel Heuer, directeur de recherche au CNRS. Dénommé XAMR, ce réacteur, qui ressemble en beaucoup plus petit au surgénérateur Superphénix mis en service en 1986 et malheureusement démantelé en 1997, est lauréat de l’appel à projets Réacteurs Nucléaires Innovants du plan d’investissement France 2030.
Colonel de la réserve citoyenne, père de 3 enfants, Ivan est aussi enseignant, conférencier, écrivain et essayiste, avec des œuvres aussi variées que Une fourmi de 18 m, ça n’existe pas (2011, avec Bruno Jarrosson, la créativité au service des organisations), La dernière pilule (2014, théâtre d’anticipation), Oui, c’est encore possible (2019, avec Jean-Luc Alexandre, atteindre d’ici 2030 les 17 objectifs de développement durable des Nations Unies) ou Hashtag 2065 (2022, le premier meurtre commis par une intelligence artificielle a déjà eu lieu !).
Ivan fait partie des nominés du Palmarès des inventeurs paru dans Le Point du 22 juin. Il envisage de lever 2 milliards d’euros sur 5 ans pour industrialiser ses réacteurs. Nous lui souhaitons plein succès. A cœur vaillant, rien d’impossible !
- Louis Jacquart (X 04), mobile

Né en 1985, Louis entre à l’X en 2004. Il poursuit ses études à l’Ecole des Ponts en 2007 et, comme si cela ne lui suffisait pas, se dépêche de faire l’ENA en 2009 avant qu’elle ne soit supprimée. Il passe alors 4 ans à la Direction du budget où il s’occupe de culture puis de collectivités locales. Il passe 2 ans à l’Agence du service civique comme secrétaire général puis directeur général par intérim puis 3 ans à l’Agence de la mobilité de la Mairie de Paris, une agence dont il ne semble pas que l’objectif soit de faciliter la circulation dans Paris !
En 2020, Louis est nommé directeur général du musée Picasso. Alors que son prédécesseur Erol Ok était resté 7 ans, il en part au bout de 2 ans, en même temps que son président Laurent Le Bon, qui y était resté 7 ans et est nommé président du Centre Pompidou, poste occupé par Alain Seban (X 83) de 2007 à 2015.
Après ce bref épisode culturel, Louis se retrouve en 2022 à la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) comme adjoint de Pauline Lavagne d’Ortigue, cheffe de la mission Innovation Publique. Vous vous demandez à quoi peut servir cette administration ? Eh bien, son site internet nous explique qu’elle a été créée en 2015 pour placer le citoyen au centre de l’action publique. A cet effet, elle apprend aux fonctionnaires à travailler autrement et a inventé la facilitation : « un dispositif de co-construction au service de l’administration, qui met en place un cadre, des méthodes et des processus afin de permettre à un groupe d’opérer en intelligence collective avec l’objectif de favoriser l’émergence de solutions par le déroulé d’une méthodologie précise et la participation active des membres ». J’offre un exemplaire dédicacé de La Rationalisation des Choix Budgétaires (PUF, 1975), au premier qui m’expliquera comment ce gloubi-boulga permettra de réduire le déficit public !
- Stanislas Polu (X 04), superintelligent

Entré à l’X en 2004, Stanislas y brille dans l’équipe de rugby sans négliger l’entrainement au marathon. Après un MS en informatique à Stanford en 2009, il passe un an chez Oracle avant de participer à la création de la société Totems à San Francisco, achetée en 2015 par Stripe. Il passe en 2019 chez OpenAI, le créateur de ChatGPT.
Montrant qu’il y a aussi une vie dans la vieille Europe, il revient à Paris en 2022 pour créer la société Dust, dont l’objet est de développer des algorithmes d’intelligence artificielle générative basés sur des grands modèles de langage (LLM), avec son complice Gabriel Hubert, un Supelec rencontré à Stanford, qui l’avait déjà suivi chez Totems et chez Stripe avant de partir chez Alan. Emmanuel Macron leur a fait l’honneur de les recevoir à l’Elysée le 8 juin.
Dust vient de réaliser une première levée de fonds d’amorçage de 5 M€ pilotée par Sequoia Capital et fait partie des nominés du Palmarès des inventeurs paru dans Le Point du 22 juin. Nous lui souhaitons un grand succès, tout en espérant qu’une super-intelligence artificielle ne réussira pas un jour à dominer l’humanité, contrairement aux prévisions de certains Cassandre, dont certains écrits d’Ivan Gavriloff cité plus haut !
- Philippe Saint-Gil (X 43), écrivain

Né en 1923 à St Didier au Mont d’Or (69), Philippe Saint-Gil, de son vrai nom Philippe Gillet, fils de Pierre Gillet contrôleur général de l’armée puis chef d’entreprise, est reçu à l’X dans la promo 43 après des études secondaires à Janson de Sailly. Du fait de la guerre, il n’entre à l’Ecole qu’en octobre 1945 comme tous les X 42 et 43, ainsi que l’explique Gérard Brunschwig (X 43) dans la Jaune et la Rouge de septembre 2001.
Marié en 1957 avec Janine Couder, écrivain, Philippe a une vie professionnelle mouvementée : il débute comme ingénieur chez Sofra (46-55) puis passe chez Poliet et Chausson, dont son père est président (55-56) puis passe 20 ans dans les constructions métalliques chez Voyer où il finit DGA (57-78). Il est ensuite vice-président de Progress (79-88) puis chargé de mission chez Egor (89-91) puis Arco (92-97).
Membre de la société des Gens de lettres, Philippe a écrit de nombreux romans, souvent tirés de ses propres expériences professionnelles, comme La meilleure part (1954), couronné par l’Académie française, dont Yves Allégret a tiré un film en 1955 avec Gérard Philipe, Michèle Cordoue et Gérard Oury. Pour la petite histoire, le film se passe dans les Alpes alors que le vrai barrage avait été construit au Maroc où la France a construit de nombreux barrages pendant le Protectorat, comme Bin El Ouidane, mis en service en 1954 ! Considérait-on déjà la colonisation comme un crime contre l’humanité ?
On peut aussi citer La machine à faire des dieux (1956), Le barrage (1969), Romantismes (1975), Le prince noir (avec Janine St-Gil, 1977) ou Le vendredi des banquiers (1981), où il retrace les affres d’un chef d’entreprise qui apprend à la veille du pont du 14 juillet que son pool bancaire rejettera son échéance le mardi suivant. Il a également écrit des poèmes dont Dialogues à une voix, couronné par l’Académie, prix Jean Cocteau. Gérard Pilé (X 41) l’a interviewé dans la Jaune et la Rouge de mai 1995 et Christian Marbach (2015) lui a consacré un article dans la Jaune et la Rouge de novembre 2009 et une mention dans Portraits de polytechniciens (2015). Il est mort en 2009.
- Zuzanna Stamirowska (M 13), polonaise

Née à Katowice (Pologne) en 1989 d’un père et d’une mère ingénieurs-architectes, Zuzanna y fait des études secondaires au Lycée Copernic où elle passe son bac franco-polonais en 2008. Elle travaillera pendant 2 ans pour une ONG (2007-08). Elle part en France pour faire un bachelor à Sciences Po Paris sur le campus de Dijon puis un master (2008-13), tout en suivant les études de l’Ensae et en faisant un master à l’X (2011-13) où elle obtient le Prix du Centre de Recherche de la Promotion 2009 ! Non contente de tous ces diplômes, Zuzanna fait une thèse de doctorat à Paris-Sorbonne sur la prévision de la structure et de l’intensité du commerce maritime à l’aide de l’intelligence artificielle (2015-20) qui donne lieu à diverses publications dont Network effects govern the evolution of maritime trade (PNAS mai 2020).
Bardée de toutes ces peaux d’âne, Zuzanna fonde en 2020 Pathway, société deep-tech qui développe une technologie d’intelligence artificielle en temps réel pour extraire de la valeur des données de flux d’événements. Utilisée notamment par les leaders des industries de la chaîne d’approvisionnement et de la logistique, comme La Poste ou DB Schenker, Pathway permet de transformer et utiliser des données en temps réel et à grande échelle. Les benchmarks ont montré que Pathway est le moteur de traitement de données le plus puissant du marché à l’heure actuelle.
Pour implanter Pathway en France, Zuzanna a bénéficié de l’incubation au Drahix, grâce auquel elle vient de lever 4,5 M$ de capitaux d’amorçage. Elle dit : « Le Drahi-X Novation Center nous a aidé sur la phase d’itération avec des mentors pertinents. Grâce au programme, nous avons pu côtoyer d’autres entrepreneurs ambitieux qui partagent le même état d’esprit. Le réseau de l’X est un levier majeur pour notre croissance ».
Mariée et mère de 2 enfants, Zuzanna fait partie des nominés du Palmarès des inventeurs paru dans Le Point du 22 juin. Pomyślnych wiatrów (bon vent), chère Zuzanna !
Actualités

- Un bon point à Roland Lescure (X 87), ministre de l’industrie, qui a décidé de ne pas participer aux journées d’été d’EELV en raison de la participation du rappeur Médine qui vient de publier un message sur X (anciennement Twitter) à caractère antisémite. Bravo, cher Roland. De toute façon, si tu veux rencontrer des vrais écologistes, ce n’est pas chez EELV que tu en trouveras ! Ni chez les voyous des Soulèvements de la Terre (cf infra) !!
- Une exposition dans le musée de Montmartre, créé par Kleber Rossillon (X 73, notre lettre de février 2023). Vous pouvez voir dans ce charmant écrin situé 12 rue Cortot, en haut de la butte Montmartre, une exposition originale sur les Femmes surréalistes. On y trouve des œuvres d’une cinquantaine d’artistes dont Nusch Eluard, Dora Maar ou Lee Miller. C’est jusqu’au 10 septembre. Courez-y !
- Un mauvais point à Didier-Roland Tabuteau (X 78, notre lettre du 31 mars 2022), pour la décision du Conseil d’Etat, dont il est vice-président, de rejeter en référé le 11 août le décret de dissolution des Soulèvements de la terre. Les optimistes peuvent dire que le Conseil d’Etat jugera l’affaire sur le fond à l’automne mais le mal est fait : désobéissance civile, sabotages et manifestations violentes sont considérés en haut lieu comme non répréhensibles.
- Une reprise du spectacle de Gala Vinogradova (D 14, notre lettre de mars 2022) qui joue le Journal d’Audrey à partir du 5 octobre au Théâtre des Mathurins : une émouvante biographie croisée de Audrey Hepburn et d’Anne Frank. Cliquez ici pour réserver.

Originaire du Caucase, sur la mer Caspienne, entre l’Arménie et l’Ouzbekistan, française et israélienne, elle prépare une nouvelle pièce, cette fois scientifique, Voyante et Physicien, qui interrogera l’intelligence des êtres vivants vis à vis de l’IA, effleurant la physique quantique.
Courrier des lecteurs
- Je viens de lire avec intérêt et avec plaisir les portraits n° 21 et j’ai découvert dans vos notes votre très gentille, et amusante, mention en avant-première de mes 3 publications Amazon. Je vous en remercie cordialement ! Stéphane Berrebi (X 76).
- Cher camarade, tu m’honores, et je serai ravi de consulter tes portraits, fort bien faits. Cordialement. Ivan Gavriloff (X 81).
- Merci cher Hubert pour ta nouvelle moisson d’X traordinaires et pour ton humour ! Jacques Marvillet (X 61).
Vous connaissez des Xtraordinaires ? Signalez-les-moi !
Merci d’avance et bonnes vacances ou bonne rentrée !
Hubert Lévy-Lambert (X 53), fondateur de X Sursaut
J’ignorais tous les talents de Yves Gavriloff mais il en a un autre qui n’est pas cité et dont je peux témoigner : c’est un excellent joueur de tennis😀 Ph. Bonnamy (X61)
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