La vie de Pierre Pène, Compagnon de la Libération

Article à paraitre dans La Jaune et la Rouge

Un de nos 33 glorieux Compagnons de la Libération (dont 12 à titre posthume), Pierre Victor Pène est né en 1898 à Paris d’un père employé des chemins de fer, originaire de Cier de Rivière (Haute Garonne) et d’une mère normande, professeur de piano. Il est reçu à l’X en 1917 mais n’y entre que dans la promo 20 Spéciale, après avoir fait une guerre brillante dans l’artillerie et avoir perdu son frère Henri, mort pour la France en 1918. Sa biographie a été écrite par son fils Olivier Pène [i]

Ingénieur des Ponts

Sorti de l’X dans les Ponts et Chaussées, Pierre effectue en 1924-25 un stage d’hydrologie à Grenoble où il rencontre Françoise Lévy-Neumand, orpheline de guerre, apparentée à la philosophe Simone Weil[ii]. Elle se convertira au catholicisme pour ne pas déplaire à ses futurs beaux-parents et lui donnera 2 filles, Florence et Annette et 2 garçons, Henri-Didier et Olivier, l’auteur de cette biographie. Il est ensuite affecté à Madagascar puis devient ingénieur en chef des travaux publics d’Ethiopie (1930-33), directement rattaché au Négus Haïlé Sélassié. Il passe ensuite 3 ans à Paris comme secrétaire de la 1ère section du Conseil général des Ponts et chaussées, avant d’être nommé ingénieur en chef d’arrondissement à Soissons jusqu’en 1941. Lors de la « drôle de guerre », il est affecté comme capitaine au 3ème régiment d’Artillerie Coloniale puis au service des Routes de la 7ème Armée, dirigée par le Général Giraud, envoyée en Belgique pour tenter de s’opposer à l’avance allemande avant de se replier précipitamment vers le Sud, au lieu de rester en France pour protéger Sedan.

Pierre Pène, peint par son épouse Françoise

Résistant

Comme pour beaucoup de Français, la débâcle de 1940 est un choc terrible pour Pierre. Avec André Boulloche (X 34) et Jean Bertin (X 19S), qui seront tous deux nommés Compagnons de la Libération, il rejoint l’OCM (Organisation civile et militaire de la Résistance) et son réseau de renseignement Centurie, puis l’Armée Secrète, dans les Ardennes et l’Aisne, qui fait partie de la zone dite interdite, avec divers pseudonymes (Taille, Périco, Portet, Pointis). Il se cache début 44 à Paris après l’arrestation de son chef Roland Farjon (Dufor) et devient, avec le grade de colonel, inspecteur régional des FFI (Forces françaises de l’intérieur, nouveau nom de l’Armée Secrète) en remplacement de Roger Coquoin qui vient d’être arrêté et tué[iii]. Son délégué militaire régional est André Boulloche (X 34) qui est arrêté en janvier 44 et est remplacé par André Rondenay (X 33) qui sera arrêté en juillet 44 et fusillé et sera nommé Compagnon de la Libération à titre posthume. De nombreux autres membres de son réseau sont arrêtés début 1944, dont son chef le colonel Touny, fusillé peu après. Pierre est arrêté le 4 avril 1944, porteur de 800.000 francs en billets neufs et de papiers compromettants. Torturé par la Gestapo rue des Saussaies, il est envoyé à Fresnes puis à St Quentin et à Senlis dont il réussit à s’évader avec Roland Farjon le 10 juin 44, moyennant un poignet cassé. Par mesure de rétorsion, le même jour sa femme Françoise est arrêtée avec toute sa famille et incarcérée à Fresnes pendant 6 semaines.

Les 33 polytechniciens Compagnons de la Libération

Commissaire de la République

Retourné clandestinement à Paris, Pierre reprend contact avec l’OCM et est nommé le 28 juin 44, sur proposition d’Emile Laffon et Michel Debré, Commissaire de la République pour la Picardie et les Ardennes et rejoint avec peine St Quentin avec un ordre de mission signé du Général de Gaulle. Fixés par une ordonnance du 10 janvier 1944, en vue de contrer les projets d’une administration américaine (AMGOT), les pouvoirs de ces 18 Commissaires, sortes de super-préfets,  étaient énormes, mais ils se sont atténués progressivement jusqu’à leur suppression en mars 46 après la démission du Général de Gaulle.

Gouverneur du Pays de Bade

Le colonel Pène en Allemagne

Sur l’insistance de de Gaulle et avec l’appui de Churchill, une petite zone d’occupation avait été attribuée à la France dans le Sud-Ouest de l’Allemagne. Dirigée par le général Koenig assisté d’Emile Laffon, puis par André François-Poncet, elle était divisée en 4 régions, dont le pays de Bade dont Pierre est nommé en été 46 gouverneur, avec ses bureaux à Fribourg en Breisgau et son domicile à Umkirch, dans un château des Hohenzollern ayant appartenu à Stéphanie de Beauharnais. J’aurai le plaisir d’y passer les étés 48 et 49, et de faire connaissance de Pierre Pène, qui se faisait appeler « Excellence », et de toute sa famille, dont l’auteur de ce livre, alors blondinet de 5-6 ans ! Pierre restera à ce poste jusqu’à l’été 52, bien que l’occupation se soit terminée en septembre 49, avec la proclamation de la RFA.

Une reconversion décevante

De retour à Paris, Pierre espère trouver un poste important, à la Haute autorité de la CECA, président d’EDF ou gouverneur général de Madagascar. Il sera déçu car tous ces postes lui échappent malgré ses éminents états de service. Il sera membre de la délégation française à l’AG de l’ONU (52), super-expert au Ministère de la reconstruction (53), membre du cabinet de Chaban-Delmas aux Travaux publics dans l’éphémère cabinet Mendès-France (54), conseiller du gouvernement monégasque pour les travaux publics (55-60), inspecteur général des Ponts et chaussées (60-65), puis membre du Comité d’histoire de la 2ème guerre mondiale. Victime d’un infarctus puis d’un cancer, il s’éteint en 1972, laissant derrière lui son épouse, morte en 1997 et une postérité de 33 personnes vivantes en 2020.

Hubert Lévy-Lambert (X 53), membre de X Résistance


[i] Vérone Editions, 2021. Fruit de plusieurs années de recherches, ce livre de plus de 600 pages est rempli d’anecdotes et assorti de nombreuses notes et d’un volumineux index. On trouvera plus de détails sur Pierre Pène sur le site Pierre Pene et famille et un résumé sur sa page wikipedia .

[ii] Ses mémoires posthumes ont été publiées en 2013 sous le titre « Françoise Pène, La vie d’une femme résistante ». Cf la Jaune et la Rouge d’août-septembre 2015, p 89

[iii] Une plaque à la mémoire de Roger Coquoin et de Pierre Pène a été inaugurée en juin 2019 devant le n° 4, rue des frères Perrier, Paris

Rejoindre la conversation

6 commentaires

  1. Olivier Pene
    Lun 05/04/2021 09:38
    Cher Hubert,
    Merci beaucoup pour ce texte qui est excellent. Un petit détail, ce n’est pas l’arrestation de Fargeon qui a fait fuir
    mon père à Paris, mais une très étrange mise en garde par le chef de la GESTAPO dans les Ardennes.
    Mon père écrit : « Le SS croit devoir me dire : la résistance dans le département, nous la connaissons très bien, nous en connaissons les chefs mais nous ne les arrêtons pas encore, nous préférons surveiller leur activité ».
    J’ai admiré la façon dont vous parvenez à résumer cette longue vie très animée de mon père.

    J’aime

  2. Charles-Michel Marle wrote:
    Merci cher Hubert pour ce très intéressant article. J’ai essayé de laisser un mot de remerciement sur ton site, sans succès, n’étant pas reconnu malgré mon inscription. Bien amicalement, C.-M. M.

    J’aime

  3. De : Philippe GEORGES
    Envoyé : mardi 6 avril 2021 10:36

    Hubert,
    Merci pour ce témoignage inspirant et cet hommage mérité.
    Par quel hasard de la vie as-tu passé les étés 48 et 49 à Umkirch ?
    Voilà qui n’est nullement évident dans le contexte de l’après-guerre et ta situation personnelle.
    Amicalement.
    Philippe

    J’aime

  4. message de Serge Perrine (X 71) le 7 avril 2021 :
    Merci Hubert pour ce texte. J’ai bien connu Serge Ravanel (*) qui m’a recruté en tant que délégué à la recherche et la technologie selon les méthodes de son réseau) et un peu moins Hubert Germain (qui est le dernier compagnon vivant et qui a publié récemment son livre de souvenirs « Espérer pour la France ») Je pense qu’un ouvrage de souvenirs et d’hommage à ces héros serait utile. De même peut être qu’un petite cérémonie annuelle associant les élèves. Je pense aussi à l’ouvrage d’Anne Marie Wimmer…

    * Serge Ravanel, X 39, est un de nos 33 Compagnons d e la Libération. Né en 1920, il est mort en 2009.

    J’aime

Laisser un commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :