
Je développe ici, à titre de notice nécrologique d’un grand X, un recensement que j’avais fait il y a 4 ans pour la Jaune et la Rouge, d’un livre intitulé Les grands fauves (Plon, 2021). Ce titre cynégétique cache une biographie, ou plutôt une hagiographie, de Claude Bébéar (CB), X 1955, né en 1935, écrite par un témoin privilégié, Christophe Labarde, journaliste au Figaro, auteur, entrepreneur et DG de la French American Foundation, grand spécialiste de name dropping.
On comprend mieux de quoi il s’agit en lisant le bandeau du livre : « L’histoire secrète du capitalisme français » et le sous-titre : « L’histoire secrète d’Entreprise et Cité ». Il s’agit en effet, à travers l’histoire de ce club très privé créé par CB en 1984 et fermé en 2007, de raconter l’histoire de CB depuis sa naissance en 1935 à Issac, un petit village du Périgord jusqu’à son apogée au début du XXIème siècle.

On y découvre comment, entré 4ème à l’X en 1955, il passe plus de temps à s’occuper de la Kès et de ses cocons que de ses cours et en sort dans les derniers, ce qui ne l’empêchera pas de donner son nom au stade de rugby de l’Ecole. Comment il se retrouve – par hasard dit-il – embauché par le père d’un de ses camarades de promo, André Sahut d’Izarn (X 1924, 1905-1972), fondateur des Anciennes Mutuelles, société d’assurances rouennaise dont la part de marché n’est que 1 %. Il en transfère le siège à Belbeuf en 1969 et en prend la direction en 1975, à la suite de ce que l’auteur décrit comme son premier putsch. Il y en aura d’autres !

Inspiré par Georges Tattevin (X 1917, 1898-1972), patron du groupe Drouot, considéré comme un grand visionnaire, CB absorbe diverses petites mutuelles pour créer les Mutuelles Unies avant de frapper un premier grand coup en enlevant en 1982 le groupe Drouot, beaucoup plus gros que lui, au nez et à la barbe de Francis Bouygues et en quittant la Normandie pour s’installer à Marly, où était le siège de Drouot. Il est alors le premier assureur privé français et donne à son groupe le nom d’AXA malgré les critiques qui y voient plutôt un nom de lessive !
Il lance peu après, via une petite société exotique dénommée Bayas Tudju, une OPA hostile contre la Providence, dirigée par Bernard Dubois de Montreynaud (X 1944, 1925-2002) et le Secours, dirigé par Victor-Claude Rosset (X 1944, -1924-2021). Il l’emporte après une bataille épique contre Bernard Pagezy (Compagnie du Midi et AGP) qui tente de jouer le rôle de chevalier blanc.
Pas rancunier, ou subjugué, Pagezy demande à CB en 1988 de jouer le rôle de chevalier blanc pour le protéger des visées d’Antoine Bernheim (Generali) sur la Compagnie du Midi. Mal lui en prend ! CB en prend le contrôle après une nouvelle bataille épique qui en fait le deuxième assureur français, derrière l’UAP mais devant les AGF et le GAN.
Après avoir pris pied aux USA en 1992 avec la prise de contrôle d’Equitable, CB passe en 1996 un accord avec Jacques Friedmann (UAP), théoriquement pour fusionner AXA et UAP, mais pratiquement pour l’absorber via une OPE qui lui permet de payer l’opération en actions. Le voila numéro un, faisant mentir la devise de l’UAP qui était Numéro un oblige !
Plutôt que de diriger le CNPF (ancien nom du Medef) ou l’AFEP (club des grandes entreprises), dirigé par Ambroise Roux (X 1940, 1921-1999) ou d’accepter un poste gouvernemental, CB concrétise en 1984 son idée de création d’un club de grands patrons soucieux de faire du social. Entreprise et Cité voit le jour autour d’un noyau dur constitué par Bernard Dumon, Jean-René Fourtou (X 1960), et Philippe Midy, auxquels se joignent rapidement Serge Kampf, Jean-Louis Beffa (X 1960), David de Rothschild, puis Michel Pébereau (X 1961), Bernard Arnault (X 1968), Vincent Bolloré, Michel François-Poncet, Didier Pineau-Valencienne et tout le gotha des grands patrons en place ou en devenir, qu’il serait fastidieux de citer ici.

En 2000, alors qu’il cède les rênes d’Axa à Henri de Castries, CB crée l’Institut Montaigne avec la participation de cadres d’entreprises, de hauts-fonctionnaires, d’universitaires et de représentants de la société civile. On y trouve Henri Lachmann, Alain Mérieux, Guy Carcassonne, Nicolas Baverez, Ezra Suleiman, Olivier Blanchard, Yazid Sabeg, Gilles Kepel… Cette « boite à idées », qui a pour objectif de concilier les enjeux de compétitivité et de cohésion sociale, s’illustre par des rapports sur l’égalité des chances, l’identité nationale ou la régulation financière, qu’on aurait plutôt attendus du côté de Terra Nova, mais défend aussi des orientations libérales, notamment en matière de réduction des dépenses publiques. C’est ainsi qu’il préconise l’augmentation du temps de travail dans les secteurs public et privé, la dégressivité de l’indemnisation du chômage ou la création d’une franchise de remboursement médical, toutes propositions que rejette l’opinion publique, mal informée, mais qu’on ne peut qu’approuver si on veut que la France sorte du gouffre financier dans lequel l’ont mise quatre décennies de déficit public, accru par deux années de « quoi qu’il en coûte »…
Auteur de plusieurs ouvrages, dont Le courage de réformer (2002) et Ils vont tuer le capitalisme (2003), CB était naturellement bardé de décorations. Grand officier de la Légion d’honneur, il était fier aussi d’avoir été décoré par George W Bush du Point of Light Award en 1997. Et la Fondation de l’X était heureuse de le compter au rang de ses plus grands donateurs à titre personnel (Cercle du Président).
Pour en savoir plus sur ce qui le faisait courir, lisez Les grands Fauves. Vous y découvrirez non seulement la grande histoire d’AXA, d’Entreprise et Cité ou de l’Institut Montaigne, mais aussi des détails croustillants comme la différence entre les gascons ashkenazes (comme Michel Pébereau) et les gascons séfarades (comme CB) et vous saurez tout sur les matches de rugby, les parties de chasse et les repas gastronomiques bien arrosés auxquels participaient les membres d’Entreprise et Cité tout en refaisant le monde entre la poire et le fromage. Nul doute qu’il essaye actuellement de convaincre Saint-Pierre de créer une compagnie d’assurance là-haut si personne n’a encore eu cette idée ou bien, s’il en existe déjà une, qu’il prépare une OPA pour en prendre le contrôle…
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